July 2025 Le plaidoyer porte ses fruits : la reconnaissance officielle des vidangeurs manuels ouvre de nouvelles opportunités Alidou Bande et Sterenn Philippe
July 2025 Le plaidoyer porte ses fruits : la reconnaissance officielle des vidangeurs manuels ouvre de nouvelles opportunités Alidou Bande et Sterenn Philippe
Après des années de plaidoyer menées par l’Association des Vidangeurs Manuels du Burkina Faso (ABASE), le gouvernement a officiellement reconnu, en 2023, le métier de vidangeur manuel — ouvrant ainsi la voie à la délivrance d’autorisation municipales et au tout premier programme de formation professionnelle officiellement certifié par l’État pour les vidangeurs manuels en Afrique. Le lancement de ce programme de formation est prévu d’ici la fin de l’année.
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Le plaidoyer
ABASE sait que le plaidoyer demande du temps, mais l’association sait aussi qu’avec de la persévérance, les résultats suivent.
Depuis des années, l’une des priorités de l’association était d’obtenir la reconnaissance officielle des vidangeurs manuels par le gouvernement. Sans cette reconnaissance, les travailleurs étaient privés de l’essentiel : protection sociale, accès aux services financiers, et mesures de santé et de sécurité. Les risques étaient élevés, et le soutien, quasi inexistant.
Alidou Bande, président de l’ABASE, se souvient des débuts. Fondée en 2012, l’association était alors peu connue des autorités. « On a dû commencer à zéro », explique-t-il. « On a envoyé des courriers pour se présenter. » Les autorités ont répondu avec une invitation à une réunion — une opportunité qu’Alidou a saisie. Il y a présenté la mission et les objectifs d’ABASE avec le même professionnalisme et la même passion qu’il apporte à chacune de ses interventions. Dès lors, l’ABASE a été proactive : répondre à chaque invitation, participer à chaque réunion, et faire entendre sa voix avec un message clair : « Les vidangeurs manuels ne sont pas vos ennemis. Nous sommes là pour lutter contre la pollution et protéger la population. »
Ce message, ils l’ont appuyé par des témoignages concrets : études de cas, photos, vidéos montrant leur travail et son impact. L’association a également noué un partenariat avec 2iE, l’une des universités les plus respectées du Burkina Faso. Ce partenariat a non seulement renforcé leur crédibilité, mais aussi ouvert la porte à une collaboration plus étroite avec les institutions publiques.
Alors que l’ABASE renforçait sa réputation et ses liens avec le gouvernement, une décision politique est venue rappeler à quel point le chemin restait long.
2019 : la vidange manuelle devient illégale
En 2019, Alidou apprend que sa profession est devenue illégale. Un nouveau décret venait d’être adopté (décret n°2019-0320). C’était surprenant — mais pas totalement. À l’époque, la vidange manuelle souffrait d’une forte stigmatisation. L’image publique du métier était mauvaise, et peu de responsables comprenaient son rôle essentiel dans l’assainissement. Alidou s’est immédiatement rendu à la Chambre des Métiers pour demander des explications : « Vous reconnaissez les maçons, les menuisiers, les plombiers… mais pas les vidangeurs manuels ? » Aucune réponse concrète ne lui a été donnée.
Malgré cette déception, l’ABASE n’a pas baissé les bras. Quelques années plus tard, en 2021-2022, ce même décret a été révisé dans le cadre d’une nouvelle politique nationale en faveur de l’assainissement. Le gouvernement a légalisé certains types de latrines — sanplats, écosan, VIP — dans le but d’aider les ménages à passer des toilettes traditionnelles à des toilettes améliorées. Pour l’ABASE, c’était un tournant. Toutes ces latrines ne pouvaient pas être vidangées par des équipements mécaniques. Les vidangeurs manuels n’étaient pas seulement utiles — ils étaient indispensables.
Avec le soutien opportun de l’Initiative pour les Travailleurs de l’Assainissement (ISW) à partir de 2022, qui a donné un nouvel élan à leur plaidoyer, Alidou a entamé des rencontres avec les autorités — notamment avec le Directeur de l’Assainissement au ministère. Il a exposé un argument clair : si le gouvernement veut vraiment améliorer l’assainissement pour tous, il doit reconnaître la réalité sur le terrain. Les vidangeurs mécaniques ne peuvent pas accéder à toutes les latrines. Parfois, la fosse est trop profonde, la boue trop épaisse, ou le camion ne peut tout simplement pas passer. En réalité, expliquait Alidou, les vidangeurs manuels et mécaniques travaillent souvent main dans la main. Quand un camion ne peut pas commencer ou terminer une opération, c’est un vidangeur manuel qu’on appelle. Leurs rôles sont différents, mais complémentaires.
C’était un argument fort. Peu à peu, les mentalités ont commencé à évoluer.

2023 : la vidange manuelle est légale
Un jour de 2023, Alidou se trouvait une nouvelle fois à la Direction de l’Assainissement, poursuivant son plaidoyer comme il le faisait depuis des années. En pleine explication sur la nécessité de légaliser la vidange manuelle, un fonctionnaire l’interrompt : « Vous n’êtes pas au courant ? La vidange manuelle est autorisée. » Peu après, il lui remet le décret n°2023-1248, relatif à la réglementation de l’assainissement autonome des eaux usées et excréta, signé le 17 août 2023.
Article 36 L’évacuation des eaux usées et des excréta au moyen de la vidange manuelle est assurée par des opérateurs titulaires d’une autorisation d’exercer, délivrée par les communes. Les conditions et les modalités d’exercice de la vidange manuelle sont fixées par un arrêté interministériel des ministres chargés de l’environnement et de l’assainissement, des collectivités territoriales et de la santé. |
L’ABASE a immédiatement prêté attention aux articles 36 et 37. Non seulement ils reconnaissent officiellement la vidange manuelle comme un métier légitime, mais ils obligent aussi les autorités locales à délivrer des autorisations aux travailleurs et à mettre en place des stations de traitement des boues de vidange dans chaque commune du pays. Pour Alidou et l’équipe de l’ABASE, c’était une reconnaissance attendue depuis longtemps. Mais le travail ne faisait que commencer.
Par exemple, Alidou explique que la mise en place d’un système de délivrance d’autorisations, qui permettrait aux travailleurs d’exercer légalement et en toute sécurité, est toujours en cours. Un obstacle majeur persiste : le projet actuel prévoit que les vidangeurs manuels doivent obtenir une licence distincte pour chaque commune — un fardeau considérable pour les vidangeurs qui travaillent dans plusieurs communes. L’ABASE a participé à quatre ateliers techniques avec la municipalité de Ouagadougou pour contribuer à l’élaboration de ces propositions, et continue de plaider pour une autorisation plus simple, reconnue à l’échelle nationale, qui tienne compte de la mobilité et de la nature inter-communale du métier.
L’impact pour les vidangeurs manuels
Les effets du plaidoyer de l’ABASE et de la reconnaissance du métier se font déjà sentir — au sein de l’association, mais aussi sur le terrain.
Pour les vidangeurs eux-mêmes, cette reconnaissance rime avec dignité. La stigmatisation commence à reculer. Ils ne sont plus obligés d’opérer dans l’ombre. « Avant, si tu devais vider une fosse dans un restaurant, tu devais le faire tard dans la nuit, quand les clients étaient partis », explique Alidou. « Mais cela augmentait les risques. La nuit, on risque plus de se faire arrêter par la police. Aujourd’hui, on peut travailler à toute heure, sans avoir peur. »
Mais l’impact dépasse l’acceptation sociale. Cette reconnaissance a ouvert la voie à une véritable collaboration avec les institutions publiques. L’un des résultats majeurs est la participation de l’ABASE à une étude de faisabilité sur les stations de traitement des boues de vidange — une infrastructure longtemps absente du secteur d’assainissement burkinabè. Mais surtout, l’ABASE a été officiellement mandatée par le ministère responsable de l’assainissement pour gérer les opérations de vidange dans les camps de personnes déplacées internes. Alidou raconte : « En seulement 10 jours, l’association a effectué 185 vidanges dans un seul camp, avec 325 autres prévues au même endroit — et 240 dans une autre ville. »
Pour un métier autrefois illégal, la transformation est impressionnante.
La suite ? Le premier programme de formation professionnelle pour les vidangeurs manuels en Afrique
Pour Alidou Bande, président de l’ABASE, la prochaine étape a toujours été claire : livrer une formation professionnelle aux vidangeurs manuels. C’est une vision qu’il porte depuis des années — avec la conviction qu’avec les bonnes compétences et le bon accompagnement, les vidangeurs peuvent exercer leur métier en toute sécurité, avec professionnalisme et fierté.
Cette vision devient aujourd’hui réalité. Cette année, l’ABASE lance un partenariat novateur avec le CEMEAU, l’institut de formation de l’ONEA (Office National de l’Eau et de l’Assainissement du Burkina Faso). En combinant l’expertise du CEMEAU en matière d’éducation professionnelle avec les connaissances pratiques de l’ABASE, les deux structures co-construisent un programme de formation structuré et de qualité. Ce programme alliera théorie et pratique et, surtout, sera officiellement reconnu par l’État. Les participants recevront un certificat professionnel à l’issue de la formation.
Le développement du programme débutera par une phase de concertation de six mois, durant laquelle l’ABASE, le CEMEAU, les autorités et les partenaires du secteur définiront la note référentielle de la formation. Une fois cette note validée, le CEMEAU adaptera sa formation existante pour répondre à ces nouvelles exigences, ouvrant la voie à un programme entièrement accrédité. La formation pilote sera déployée en trois cohortes d’environ 40 à 50 participants chacune, sur une durée de 14 jours. Le programme est conçu pour transmettre des compétences techniques, telles que les meilleures pratiques en matière de santé, de sécurité et de normes environnementales, mais il vise également à donner aux participants des compétences en création d’entreprise, en conformité légale et en gestion financière – des atouts essentielles pour assurer leur avenir.
Pour l’ABASE, il ne s’agit pas juste d’une formation — c’est une véritable transformation.

Comment soutenir ?
L’ABASE a déjà obtenu un soutien financier initial pour ce programme de formation, et cherche à présent d’autres partenaires pour l’aider à étendre cette initiative ambitieuse.
Vous pouvez contacter Alidou à l'adresse alidouband@yahoo.fr.
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